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Tous les jours dans les travail, les personnes agissent en pirate en ajustant les procédures car les choses ne se passent pas comme prévu.

Et ces défauts dans la prévision sont normaux car le travail est vivant, traversé par milles variabilités, qui rendent son futur imprévisible.

Mais d’où nous vient cette culture organisationnelle qui nous laisserait penser que des standards permettraient de régler le travail à priori ?

Le taylorisme, une révolution anthropologique

Lorsque je donne mon cours sur le management du travail en école de commerce, je questionne les étudiants sur ce qu’a produit le taylorisme. La première (et unique) réponse est « le travail à la chaine ». Le taylorisme a effectivement amené une division horizontale du travail en parcellisant des tâches unitaires et chronométrées dans le but d’augmenter la productivité. Ce qu’il a très bien réussi car la productivité s’est envolée avec l’organisation scientifique du travail.

Mais Taylor a aussi amené une division verticale du travail :  la distinction stricte entre la conception du travail et son exécution. Ceux qui font le travail ne sont pas ceux qui le pensent et l’organisent. D’un côté les cerveaux, de l’autre les bras.

Pour bien saisir ce que cette séparation a de fondamental, il faut imaginer ce qu’était le travail en usine avant Taylor.

Les manufactures étaient  peuplées d’ouvriers et d’ouvrières qui produisaient des biens et maîtrisaient les savoirs faire pour pouvoir les produire. Ces ouvriers professionnels étaient alors des « artisans » entendus comme des personnes capables de penser leurs méthodes de travail, de les mettre en œuvre et de les ajuster pour dépasser les aléas qu’ils rencontraient. Pensée et action étaient dans les mains d’une seule personne et pouvaient s’enrichir continuellement par la mise à l’épreuve du travail réel.

Le taylorisme a donc fait passer les ouvriers du statut d’artisan à celui d’exécutant en perdant au passage ce qui fait la part véritablement humaine du travail : la capacité pour chacun d’être pour quelque chose dans ce qu’il fait en y exerçant sa liberté.

Le taylorisme, une culture organisationnelle très actuelle

Mais me direz vous tout ça est une histoire lointaine. Taylor est un homme de la fin du XIXe siècle et le taylorisme est passé de mode depuis longtemps.

Mon expérience d’accompagnement des transformations me fait dire qu’il n’en est rien. Si Taylor est mort, le taylorisme est bien vivant et il sous-tend notre culture organisationnelle.

Prenons un exemple pour vous en convaincre : le refonte d’un processus.

Le département comptabilité Europe fait le constat que son processus de clôture comptable n’est probablement pas optimisé en terme de délai et montre des défauts de qualité de données. Le responsable souhaite alors refondre ce processus pour l’améliorer. Il confie à un expert, un ancien responsable comptable pays, le soin de mener ce chantier.

Ce chef de projet réunit autour de lui un comité d’expert et part faire un tour des comptables en Europe pour comprendre ce qui dysfonctionne. Ils écoutent, notent et compilent toutes ces données puis rentrent au siège pour s’enfermer dans une salle afin de concevoir le nouveau processus. Enfin sorti des forges, le processus est déployé à travers une formation pour être expliqué à l’ensemble des comptables européens. Et je me souviens très bien, lors d’une de ces formations, d’une discussion musclée entre le formateur et un comptable qui reprochait à l’équipe projet de ne pas avoir pris en compte des dysfonctionnements particulièrement pénalisants dans son pays. Et le formateur de lui répondre que le nouveau processus était une synthèse « moyennée » des remontées des pays ce qui excluait la possibilité de prendre en compte l’ensemble des dysfonctionnements. Et que ces choix étaient légitimes au regard de l’expertise de ceux qui les avaient pris.

Nous sommes donc toujours dans la logique tayloriste : aux experts le soin de concevoir le travail, aux opérateurs le soin de l’exécuter.

Regarder le travail comme Taylor c’est donc considérer le travail comme un espace à « régler par le haut » : l’action est organisée par des experts et elle est contrôlée lors de son déroulement. Travailler, pour les opérateurs, c’est donc exécuter des procédures et s’en tenir à la prescription pour atteindre les objectifs.

La question qui vient

Et pourtant, les opérateurs résistent à ce regard et prennent sur eux pour ajuster les procédures en secret. Alors qu’est-ce qui pousse à devenir un pirate ?

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